Ce texte est une retranscription d’un séminaire donné le mardi 16 janvier 2018. Nous avons gardé le style parlé dans la retranscription.
Dit par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)
Je travaille en dialyse à l’hôpital d’Ixelles (HIS) depuis un peu plus d’une dizaine d’année et depuis quelques temps je commençais à avoir le sentiment de tourner en rond et j’ai eu envie de bousculer ma routine. J’ai proposé à ma collègue Maud Spoel, qui travaille à l’hôpital de Bracops (HIS) de nous rencontrer et de réfléchir à la prise en charge en dialyse. Nous nous sommes rendu compte, avec surprise, que nous avions mises en place des cadres tout à fait différents.
Nous allons vous raconter ici comment dans une situation identique nous avons imaginé deux cadres tout à fait spécifiques avec chacun leurs qualités et leurs défauts.
Le séminaire va se dérouler en 5 parties
- En introduction, le contexte médical. Mark Libertalis nous parlera de ce qui arrive aux patients en dialyse. Cette partie ne sera pas présente dans cette retranscription.
- L’intervention de début de dialyse. Maud Spoel évoquera la prise en charge de début de dialyse.
- Présentation de nos deux cadres. Nous évoquerons comment nous sommes nous chacune posée la question du cadre au moment de prendre le service en charge et comment nous l’avons mis en place.
- Avantages et inconvénients de chaque cadre : Anne-Marie Hassoun parlera des situations que chaque cadre permet de traiter (avantages et inconvénients)
- Conclusion et propositions par Maud Spoel
L’intervention de début de dialyse
Dit par Maud Spoel, psychologue (HIS)
La prise en charge en dialyse
Suite au suivi ponctuel de patients insuffisants rénaux dans le cadre de ma fonction de psychologue de liaison, le Docteur Vandervelde, néphrologue, me propose d’intégrer l’équipe de la dialyse afin d’assurer un travail régulier auprès de ces patients.
Lorsque nous avons envisagé et discuté cette collaboration, le Docteur Vandervelde m’avait part de plusieurs demandes :
- Des entretiens pré-dialyse systématiques dans le but de dédramatiser la situation, préparer le patient à son traitement, l’aider à surmonter le stress ressenti face à la maladie.
- Un suivi des patients dialysés.
- Et des entretiens de soutien des patients hospitalisés soit pour diverses complications, soit en vue des examens pré-greffe.
Afin de répondre à ces demandes, j’ai commencé par m’intéresser aux différentes « étapes » du parcours d’un patient insuffisant rénal mais également aux actes techniques auxquels celui-ci
est régulièrement confronté. J’ai donc assisté à quelques consultations du Dr
Vandervelde ainsi qu’à la mise en place d’un cathéter.
L’équipe des infirmières m’a expliqué le fonctionnement de la machine et m’a permis d’être présente lors de la connexion et la déconnexion d’un patient à celle-ci aussi bien à partir d’un cathéter que d’une fistule.
Cet apprentissage m’a permis d’appréhender une toute petite part du quotidien et du vécu des patients insuffisants rénaux dialysés.
Parallèlement, je me suis rendue à plusieurs congrès en France et pris connaissance de la littérature existante.
Depuis quinze ans, j’ai donc vu systématiquement tous les patients arrivés à la dialyse.
Dans la mesure du possible, quand les séances de dialyse ne doivent pas être démarrées dans l’urgence, cet entretien pré-dialyse a lieu quelques semaines avant la date fixée de la première séance ou éventuellement lors de la mise en place du cathéter.
Je reçois le patient seul ou avec son conjoint, sa famille s’il ou elle l’accompagne.
L’histoire de la maladie, le diagnostic, les antécédents du patient m’ont été préalablement racontés par le Dr Vandervelde.
Lors de ce premier entretien, je m’intéresse à l’histoire du patient.
Je l’interroge donc sur son parcours médical, sur l’histoire de sa maladie, mais également sur son parcours de vie.
Cette démarche me permet de récolter des informations sur l’état de santé du patient, ses connaissances sur l’insuffisance rénale et son traitement, sa perception du diagnostic et sa réaction à celui-ci, sur son régime alimentaire, sa situation de famille et les réactions de celle-ci face au diagnostic, sur ses activités quotidiennes habituelles, sur son état émotionnel et psychologique actuels et enfin sur d’éventuels antécédents à ce niveau-là.
Pourquoi s’intéresser à la maladie et à son diagnostic ?
Tout d’abord, parce que l’insuffisance rénale est une maladie silencieuse.
Les dégâts s’installent sans que le sujet ne s’en rende compte.
Les reins arrivent jusqu’à un stade très tardif à produire des urines, qui, certes sont de mauvaise qualité mais qui peuvent donner l’illusion d’un fonctionnement rénal satisfaisant.
Les signes cliniques vont progressivement s’installer mais de manière très variable selon les sujets, certains d’entre eux arrivant à un stade très avancé sans beaucoup de symptômes cliniques. Les anomalies ne peuvent être révélées que par un bilan biologique.
Le malade n’a guère d’autre choix que de faire confiance au médecin et aux résultats de prise de sang.
La plupart des patients ont du mal à croire à la nécessité du traitement.
Certains patients voient la maladie comme une fatalité contre laquelle ils ne peuvent rien. Ils doivent l’accepter, ils n’ont pas d’autre choix.
« S’il faut, il faut » est quelque chose que nous entendons souvent lors des premiers entretiens.
D’autres refusent l’idée de la maladie et du traitement. Le temps permet parfois d’envisager un changement de position.
D’autre part, l’annonce du diagnostic et la perspective de la dialyse entraînent inévitablement un choc.
Qu’ll s’agisse d’une découverte brutale ou de la fin d’un long processus pendant lequel le malade a espéré échapper à la dialyse, l’annonce du stade terminal de l’insuffisance rénale représente toujours pour le patient un choc.
Pourquoi s’intéresser au traitement ?
Je me suis rendu compte, au cours de mon travail à l’hôpital qu’il était parfois difficile pour les patients d’intégrer les informations fournies, soit parce qu’elles étaient énoncées de telle manière qu’elles pouvaient être difficilement intégrées à l’histoire du patient, soit que celui-ci en état de choc et face à la complexité de l’information avait été incapable d’intégrer celle-ci. Ce premier entretien permet de reformuler ou de compléter les données fournies par le médecin ou par les infirmières lors de la visite du service.
Selon certains auteurs, l’éducation du patient qui s’étend à tous les domaines de la vie est une nécessité. L’éducation du patient consiste avant tout à la transmission, la confirmation et à la répétition continue d’informations diverses sur la maladie et son traitement afin de mieux les comprendre et les accepter. Celles-ci lui permettront de stabiliser son niveau d’anxiété, de réduire son image de malade, de prendre sa part de responsabilités dans le traitement et d’aboutir à une prise en charge personnelle.
Lorsque les entretiens pré-dialyse précède la mise en place du cathéter, j’aborde la question de manière systématique afin de favoriser
l’émergence de questions mais également des angoisses. Sauf dans le cas où une fistule a été constituée auparavant, la mise en place du cathéter représente le premier acte technique indispensable à la dialyse, mais également la mise en place d’un corps étranger, acte technique qui remet en cause l’image corporelle du patient.
Pourquoi s’intéresser au régime alimentaire ?
Le régime alimentaire est un problème important pour un dialysé étant donné que la plupart des « déchets » et de l’eau en excès proviennent de l’alimentation, celle-ci doit être contrôlée. Une diététique convenablement réglée compte parmi les moyens thérapeutiques nécessaires et efficaces.
L’arrivée en dialyse entraîne donc la plupart du temps une modification des habitudes alimentaires. Le patient va devoir éviter trop de sel, trop de potassium, trop d’eau, surveiller que l’apport en calories et en protéines soit suffisant.
Une prise en charge et un suivi personnalisé se fera par ailleurs par la diététicienne du service.
En tant que psychologue, je suis à l’écoute des éventuelles difficultés des patients face aux modifications de ce régime alimentaire, à l’application et au respect de celui-ci sur le long terme.
Pourquoi s’intéresser à la famille du patient ?
Le diagnostic d’une maladie grave précipite la famille dans une crise émotionnelle aiguë. Celle-ci va devoir faire face à une série de difficultés. Elle va devoir gérer une tension émotionnelle intense, l’incertitude, la menace de mort qui pèse sur le patient.
L’entourage va être confronté, tout comme le patient à un flot d’émotions : sentiments de d’angoisse, de doute, de culpabilité, de frustration, de colère, de désespoir.
L’émergence de la maladie va agir en modifiant le milieu de vie du patient, notamment les relations de ce dernier avec les membres de sa famille.
Elle va également entraîner une réorganisation de la vie quotidienne, des rôles et des fonctions, le malade ne pouvant plus assumer toutes les tâches qu’il remplissait avant l’apparition de la maladie.
La famille va également être mobilisée de façon à soutenir affectivement le malade.
Pourquoi s’intéresser aux activités habituelles du patient ?
La dialyse, par sa forme technique et les contraintes
médicales qu’elle suppose conduit le patient à perdre la plupart de ses points de repères habituels. Le temps s’arrête, il y a rupture, rêves et projets sont remis en question.
Le patient va être amené à aménager son temps en fonction des trois séances de dialyse par semaine. Sa vie est rythmée par les dialyses.
Celle-ci est scindée en deux périodes :
-le temps de la dialyse : il appartient à la machine dispensatrice de vie mais dévoreuse de temps. C’est souvent pour les patients, un temps volé, perdu.
-Le temps de l’autonomie : c’est la période intra dialyse qui donne l’illusion de la réalité.
Pour certains patients, toute modification venant amputer cette période est sujet à récrimination ou manifestation dépressive.
D’autres ont le souci de mettre une barrière entre leur traitement et leur vie privée, entre les deux mondes, celui où il se reconnaît malade et celui où il se sent « normal ».
Le dialysé est souvent amené à changer de position sociale. Très peu conservent une activité professionnelle complète, difficile à accorder avec les contraintes de la dialyse (les hospitalisations, la fatigue après les séances…). Certains acceptent un emploi à mi-temps mais beaucoup prennent le statut d’handicapé, de pensionné.
Pourquoi s’intéresser à l’état émotionnel du patient et d’éventuels antécédents ?
Comme je l’ai déjà mentionné l’annonce du diagnostic et la nécessité du traitement palliatif de la dialyse entraîne un choc et toute une série d’émotions mais également des contraintes et de nombreuses modifications au sein de la famille, de la sphère professionnelle et sociale.
Tout ceci peut évidemment réactiver des difficultés passées, des expériences douloureuses antérieures.
Nous savons que les facteurs intra-individuels mais également des variables telles que l’âge, le sexe, la durée de la maladie, le niveau d’éducation, le statu socio-économique, le support social ont une influence sur l’adaptation au traitement.
Les thèmes d’option de traitements, hémodialyse versus dialyse péritonéale et la question de la greffe peuvent être également discutées lors de cet entretien.
Avant le démarrage de la dialyse proprement dit, le patient est invité à visiter les locaux du futur traitement et à faire connaissance avec l’équipe infirmière qui le prendra en charge.
Le suivi des patients dialysés se fait de manière beaucoup moins systématique. Je travaille sur base des demandes de l’équipe infirmière et médicale, en fonction de l’évolution de chacun, des complications en lien avec la maladie ou le traitement ou d’éventuelles difficultés de vie personnelle.
Lors de moments de crise plus spécifiques, je peux alors rencontrer le patient de manière plus régulière.
Par contre, lorsque le patient est hospitalisé, la proposition d’entretiens se fait à nouveau de manière plus spécifique.
La description de nos cadres
Par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)
Quand le patient commence à s’adapter à la situation, ce qui a justifié au départ nos entretiens s’estompe, alors se pose la question que faire ensuite ? Nous avons deux dixièmes pour la dialyse, quels services « psy » allons-nous donner en échange ?
Ceci en sachant que rien du dispositif classique sur lequel s’appuie un entretien psychologique n’est respecté en dialyse.
- Nous n’avons peu de confidentialité, il nous faut chuchoter pour que les autres patients ne puissent pas entendre.
- Nous travaillons au vu au su de tout le monde, chacun sait qui est vu et combien de temps.
- Les stimulations et les distractions sont nombreuses, les infirmières passent, prennent la tension, les voisins se manifestent, la TV continue …
- Nous pouvons/devons suivre les patients tout au long de leur vie, sans limites de temps.
- Peu de patients ont demandé eux-même un suivi, il leur a été offert, ils ne l’ont pas refusé.
Chacune de nous a inventé une manière de faire dans ces circonstances. Nous avons crées deux cadres issus de nos expériences propres et de la manière dont nous sommes arrivées en dialyse. Ce sont ces deux solutions que nous allons parler maintenant en commençant pas nos arrivées dans nos services de dialyse respectifs.
Nos cadres
Le cadre mis en place par Anne-Marie Hassoun : un suivi continu
Dit par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)
L’arrivée en dialyse
Avant de parler de moi, je vais dire un mot de la personne qui m’a précédée. Quand la dialyse s’est ouverte à XL, on l’avait mise dans un box minuscule, l’intimité y était encore plus difficile que dans les conditions normales de dialyse. A l’époque, Anne Chevalier qui assurait ce poste, voyait les patients dans le bureau des médecins avant ou après la dialyse. Elle me disait que seuls les patients les plus structurés venaient la voir, ceux qui avaient une conscience d’eux-mêmes et de leur vie psychique suffisante pour passer encore plus de temps à l’hôpital. Elle insistait sur le fait que ceux qui en avait le plus besoin n’était jamais touché par ce dispositif et le regrettait.
Cela m’avait marqué et quand j’ai repris ce poste je me suis dit qu’à priori je voulais toucher ceux qui en avaient le plus besoin. Entre temps, la dialyse avait changé d’endroit et je pouvais passer voir les patients pendant leur dialyse à condition d’accepter que la confidentialité ne soit pas vraiment respecté, ce qui à l’hôpital est malheureusement assez courant, j’y suis habituée.
Au moment où je devais prendre ma fonction un nouveau patient de dialyse était hospitalisé, monsieur G. C’était un grand paranoïaque, à 30 ans, il avait des délires de type de ceux du président Schreber décrit par Freud. Je me suis demandé comment il allait pouvoir supporter que son sang lui soit retiré, reviennent dans son corps après qu’on y ait fait quelque chose. Allait-il pouvoir rester ?
C’était mon premier patient en dialyse, et il m’a semblé que mon rôle était clair, il me fallait l’aider dans la mesure du possible à supporter de se faire dialyser. Quand j’ai pris mes fonctions en dialyse, j’avais donc en tête le modèle de la contenance.
Le cadre
Mon modèle de départ était donc la contenance, je me suis vite rendu compte que si avec les psychotiques c’était souvent très adapté, cela ne cadrait pas bien avec d’autres types de personnalité. Je risquais de me lancer dans des thérapies sauvages, ou, cela m’est arrivé, de susciter des réactions de rejets massifs.
J’ai donc commencé à adapter ma manière de fonctionner au type de personne qu’était le patient. Je n‘ai pas créé une alternance de période de suivi et non suivi, mais des rencontres dont la fréquence dépend de la personne, des moments de sa vie ou du contenu des rencontres.
- Si lors d’un entretien, il y a eu une réflexion importante, je reviens la fois suivante voir si le patient a besoin de quelque chose, puis j’espacerais un peu la prochaine rencontre de manière éviter que le travail devienne trop intense et trop toucher aux défenses. Nous ne sommes pas en thérapie.
- Si l’entretien a été vide, je reviendrais dans quelques séances. Ceci pour éviter de transformer notre relation en relation de comptoir.
- Si quelque chose se passe pour le patient (maladie, difficulté liées un événement de vie…) je me rends plus disponible.
Concrètement, quand je vois un patient en début de dialyse, je lui explique à quel moment de la semaine je passerais en général. Je lui dis que l’on est appelé à se voir sur le très long terme et que je ne passerais pas à chaque séance, mais que s’il veut me voir il peut m’interpeller ou demander mon passage aux infirmières.
Je lui dis qu’à l’inverse si un jour lui n’a pas envie de me voir, parce qu’il n’a rien à dire, parce qu’il se sent mal ou pour tout autres raisons, il peut me le dire. Peu de patients le font facilement, mais je tiens à leur rappeler cette possibilité et je suis très attentive à tous les signes qui pourraient indiquer que le patient ne souhaite pas me voir. Mon expérience est que chez certains patients, un peu rebelle, expérimenter que je respecte cet engagement facilite la relation.
Avec chaque patient, je créé ainsi un rythme qui va dépendre de sa manière de fonctionner avec moi.
- Madame D a presque toujours envie de me voir et je la vois chaque fois que je peux, avec elle je fais un travail de contenance.
- Madame A me dit quand elle veut me voir ou pas, en moyenne une fois toutes les quatre semaines, mais elle fait un authentique travail ces jours là.
- Monsieur M aime avoir de la compagnie et bavarder, je le laisse faire une fois par mois, un peu moins. De temps en temps il me demande un avis « autorisé » sur une chose ou l’autre, c’est l’occasion de faire un petit travail de psychologue.
- Madame H est délirante, un gentil délire qui ne gène pas sa vie, elle est institutionnalisée et fonctionne généralement bien ainsi. Suivant les moments, elle souhaite ou pas que je vienne la voir. Je suis son rythme et surtout, je ne souhaite pas toucher à son équilibre. Je la vois donc un temps assez court.
- Madame Y voulait un vrai travail, elle devait être greffée et supportait mal l’idée d’accepter le rein de la personne qui allait le lui donner, elle m’a demandé des séances individuelles, c’est la seule personne
qui l’a fait en 13 ans de dialyse.
- D’autres personnes ne souhaitent pas me voir ou ne parlent pas français, je me contente de les saluer, y compris quand ils sont hospitalisés.
- C’est parfois à l’occasion des hospitalisations que des liens se nouent. Monsieur N, par exemple, n’aimait pas trop l’idée d’être vu par une psychologue. Lors d’une hospitalisation que j’ai vu sa femme qui était angoissée par son état, un jour elle a souhaité que l’entretien se déroule avec lui. A partir de se moment, il lui est arrivé de m’interpeller quand ses problèmes l’angoissait trop.
Remarque
autour de chaque lit de dialyse, on peut tirer des rideaux. Je ne le fais jamais, car j’ai constaté que quand je le faisais aussi bien le patient que moi nous oublions que nous sommes en public. Nous prenons alors moins de précautions pour garder un minimum de confidentialité.
Par exemple, il m’est arrivé d’être avec une patiente que je connaissait bien, avec laquelle il y a une alliance bien installée. Une infirmière a fermé les rideaux autour de nous. J’ai oublié la situation, j’ai eu le sentiment d’un espace intime. Je me syis donc permi de dire quelque chose d’un peu remuant. Avzc cette patiente, c’était tout à fait adéquat, d’ailleurs la patiente en a fait quelque chose. Mais là, une voisine écoutait. Cette voisine avec qui j’avais de bonnes relations, même si elles étaient superficielles, n‘a plus jamais voulu me parler.
Le cadre mis en place par Maud Spoel, un travail en tranche
Lors des discussions que nous avons eu avec Anne-Marie, je me suis rendue compte que le cadre que j’ai pensé et mis en place en dialyse rejoignait ma réflexion initiale lors de ma prise de fonction en tant que psychologue eu sein des salles d’hospitalisation à Bracops.
Là également, j’ai été amenée à réfléchir en fonction des différents types de pathologie des patients auxquels j’étais confrontée. J’ai donc pensé ma méthode de travail en fonction du terrain.
Lors de mon arrivée en dialyse, comme je l’ai dit, il y avait les demandes du service mais également la manière dont j’appréhendais un patient en général.
J’ai toujours considéré le patient dans sa globalité. J’aborde donc le patient au travers des motifs d’hospitalisation, de sa maladie mais également en tenant compte de son parcours de vie et de son environnement.
Il était donc important pour moi de rencontrer les patients chroniques, insuffisants rénaux dialysés, sur base de ce modèle là également, et de pouvoir les accompagner aussi bien dans des difficultés que l’on peut retrouver dans le cadre de la plupart des maladies (deuil d’un corps sain, perte d’un organe vital, confrontation à l’idée de mort, sentiment de dépendance, de culpabilité par rapport à la famille, sentiment de révolte, tristesse, d’agressivité…), mais également par rapport à des questions très spécifiques au traitement de dialyse (dépendance à la machine, circulation extra-corporelle, modifications physiques dues au traitement, notion de temps, diététique contraignante, horaires contraignants,, diverses complications, confrontation aux autres patients, décès fréquents dans la population dialysée qui l’entoure..).
Par ailleurs, la première situation à laquelle j’ai été confrontée en dialyse a peut-être elle aussi déterminé la manière dont j’ai élaboré mon cadre de travail.
Le projet de collaboration n’était pas encore abouti, quand Le D Vandervelde m’a demandé de rencontrer Mme D.
Le médecin et les infirmières me décrivent une patiente globalement bien adaptée à son traitement et particulièrement compliante à son traitement et eu respect de son régime alimentaire mais qui se déprime depuis quelques temps.
L’équipe a des difficultés à comprendre ce qui se passe d’autant plus que Mme D. ne désire pas s’exprimer.
Au fur et à mesure de l’entretien, elle finit par m’expliquer que ce qui le rend triste c’est de ne plus pouvoir aller au restaurant avec ses filles et ses petites-filles, de ne plus pouvoir profiter de ce plaisir en famille, étant tenue de faire attention à la restriction en sel.
Elle me dit ne pas oser en perler au médecin et à l’équipe de peur d’être considérée comme une mauvaise patiente. Je lui propose alors d’en parler moi-même au néphrologue afin de lui exposer la situation et d’envisager d’éventuelles solutions au problème, ce qui a permis à Mme D. de pouvoir retourner au restaurant avec ses filles en tenant compte de conseils du médecin.
Mme D., première patiente de la longue liste de patients rencontrés en dialyse m’a donc d’emblée confrontée à une question très spécifique à la dialyse, le régime alimentaire, ses contraintes et la recommandation de manger sans sel.
Les deux cadres en situation
Dit par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)
Nous avons donc crée deux cadres. Chez Anne-Marie Hassoun, le travail est continu avec une alternance d’intensité, chez Maud Spoel, le travail est organisé par tranche. Je vais parler ici des avantages et inconvénients des deux modalités de fonctionnement.
Quelques situations spécifiques
La jalousie dans « fratrie »
Un des aspects de dialyse est que patient sait ce que l’autre reçoit, qui est vu par une psychologue et quand, tout se passe en public.
Dans le dispositif de Maud Spoel, cela permet à chacun de savoir qu’il se passe quelque chose pour le voisin. Le problème semble se poser en termes de confidentialité.
Dans le Dispositif d’Anne-Marie Hassoun, la question se pose plutôt en termes d’arbitraire. De très rares patients ont compris que le rythme avec lequel je les vois n’est pas arbitraire, il y en a même un qui s’est amusé une fois à me dire « aujourd’hui vous allez voir monsieur X », c’était juste. Mais je pense que la plupart des gens doivent le vivre comme aléatoire.
Nous n’avons jamais trouvé comment traiter cet aspect. Nous ne sommes pas dans une institution psychiatrique où nous pourrions en faire l’objet d’une discussion collective. C’est un des angles noirs de nos méthodes qui ne peut être évité qu’en retournant à un cadre plus classique de relation duelle.
Le temps et son usage, l’exemple des patient qui viennent de régions du monde où la médecine est moins accessible.
A l’hôpital d’Ixelles, nous avons beaucoup de patients africains peu habitués à l’idée de maladie chronique, surtout ceux qui viennent de région où les médecins sont rares. Ils vivent en général dans l’attente de ce qui va se passer : la guérison ou la mort. Ils le disent, ils sont entre parenthèses. L’idée de maladie chronique avec laquelle il faudra vivre ne fera son chemin que très lentement.
Il y a une résistance très forte à l’évolution de cette représentation car accepter qu’il faut vivre avec la maladie signifie accepter de faire sa vie ici loin des siens que l’on ne pourra plus jamais revoir.
Face à ce type de difficulté le très long terme est aidant.
Patient sans volonté ou capacité de parler :
Dans un travail par tranche, l’alternance permet de revenir quand il y a un besoin ou une attente.
Chez moi, le cadre est peu adapté à une reprise des entretiens après un refus, même si cela arrive.
La greffe
La greffe est un espoir un peu effrayant. Les patients en attente ont de multiples angoisses à sont propos. Un des thèmes important à traiter est celui de la dette vis-à-vis du donneur. La greffe et le début de dialyse sont des entités psychologiquement identifiables, les deux dispositifs offrent des moyens de l’aborder.
La personnalité du patient
Patient psychotique, la fonction de contenance et l’infini :
Par définition, j’ai suivi les patients psychotiques qui s’étaient soumis à la nécessité de la dialyse. Je ne parlerais donc pas de déni de la nécessité de se laisser dialyser.
Une fois l’alliance crée, la demande du patient psychotique est souvent sans fin aussi bien en ce qui concerne l’entretien qu’en ce qui concerne la durée du suivi. Son objectif est la contenance.
Mon cadre a été fait pour ce type de patient, il y est adapté. La principale difficulté que j’ai eu a été institutionnelle.
Je vous ai parlé tout à l’heure de monsieur G, ce grand paranoïaque qui a été mon premier patient de dialyse. Pendant deux ou trois ans, il a réussit à se contenir. Un jour, je reviens de vacances et l’équipe infirmière me dit, il qu’il ne va pas bien. Je vais le voir, il est en plein délire et je stoppe vite l’entretien car j’ai conscience que si je reste et que j’essaye de parler avec lui, je vais devenir moi-même un mauvais objet, je préfère préserver ce que je peux de notre alliance passée. Je vais voir l’équipe et dit qu’il faut appeler un psychiatre. Réaction d’une infirmière : « à quoi tu sers, tu y vas quand tout va bien, et quand ça va pas on doit
appeler le psychiatre ».
Comment lui répondre ? L’effet de ce type de travail est non quantifiable puisqu’il ne s’agit pas de changement mais d’aider le patient à rester aussi adapté qu’il en est capable. On ne peut le mesurer, sauf en remarquant que, lors de longues absences de la psychologue, le patient est plus souvent malade (physiquement) ou plus agité.
Le type de dispositif par tranche n’offre pas cette fonction, ou ne l’offre que partiellement
Patient pervers, l’emprise et l’infini :
Les patients pervers peuvent avoir du mal à s’adapter à la réalité de la dialyse à vie. Leur défenses qui leurs permettent d’éviter le choc au départ, limitent aussi leur capacité à se soumettre à la réalité. Le suivi d’après début de dialyse peut être long, j’en ai qui ne se sont jamais terminé objectivement.
Une autre difficulté est que les patients sont bien conscients que s’ils demandent à voir le psychologue, celui-ci se trouve dans l’incapacité de le refuser. Certains tentent d’initier une relation d’emprise en utilisant cette réalité. Les masochistes en particuliers qui suscitent momentanément l’investissement de l’équipe.
Pour le soignant, la relation d’emprise est difficile à vivre et s’offrir à ce type de transfert sans le cadre ni l’alliance qui permettait de le travailler n’a aucun autre intérêt que de permettre au patient d’en jouir.
Personnellement, je n’ai pas trouvé d’autres solutions que d’arrêter l’entretien dès que je perçois des signes de ce type. Je reste disponible pour des entretiens durant laquelle la personne parle d’elle-même, mais pas ceux où l’objectif est la jouissance de l’emprise. Le résultat est, qu’assez rapidement, leur demande cesse tout à fait, ils ne veulent plus me voir.
Si les soignants me demande de revenir voir ces patients parce qu’ils ont une difficulté de vie, cela ne pose souvent des problèmes. Sachant que je ne me prête pas à leurs jeux, ils ont tendance à me rejeter.
Le type de dispositif de Maud est plus adapté à ce type de patient, il n’offre pas au patient l’emprise qu’impose la prise en charge permanente
Les patients narcissiques sont un peu différents, avec eux c’est sur le long terme que le lien se crée dans une alternance entre présence à la demande et la légèreté du fil qui maintien le lien le reste du temps.
A cet égard, je pense que les deux dispositifs sont équivalents, être disponibles au moment cruciaux, accepter de s’effacer le reste du temps, la forme change mais le résultat est le même.
Patient border line, le clivage de l’objet :
Le patient est demandeur de continuer le suivi infiniment jusqu’au moment ou pour une raison ou une autre la psychologue devient un mauvais objet. Ce type de suivi peut se terminer brutalement après des vacances un peu trop longues aux yeux du patient par exemple. La situation offre peu de possibilité d’élaborer la situation avec le patient.
Je cesse alors de le voir, il est très rare qu’il m’accepte de nouveau. C’est une des difficultés mon mode de fonctionnement.
Je pense que le dispositif de Maud >Spoel est peut-être plus opérant, à condition de pouvoir terminer une tranche sans susciter un sentiment d’abandon ce qui n’est pas simple.
Le névrosé
Quand il est relativement équilibré le névrosé s’accommode assez bien des deux dispositifs.
La difficulté dans mon cadre consiste à ne pas dériver vers une relation de type amicale, dans le cadre de Maud Spoel, c’est la jalousie dans la fratrie qui doit être le plus présent.
Les demandes du soignants
Rendre le patient compliant
Parfois les soignants demandent au psychologue de rendre le patient plus compliant à son traitement pour de meilleurs soins.
Il n’est déjà pas facile de changer de comportement quand on le souhaite et que l’on choisi de faire une thérapie (voir les problématiques d’addiction par exemple). Il est possible de faire de manière momentanée avec un objectif assez puissant, un régime, un traitement de courte durée. Mais changer de comportement à vie est d’une autre nature et demanderait parfois une thérapie ce qui n’est pas faisable dans un travail de dialyse.
On peut soutenir une volonté de changer de comportement. On peut aider les patients qui le souhaitent le faire en l’aidant à identifier les blocages. On peut aussi, s’il s’y prête, l’inviter à mesurer l’importance des adaptations demandées par les soignants. Quant à imposer un changement de comportement, ne serait ni éthique ni faisable.
Aider le patient face à une situation de vie difficile
Le soignant signale une difficulté chez le patient, ou le patient demande le passage de la psychologue.
Tous les patients n’ont pas toujours envie ou besoin d’une intervention psychologique chaque fois qu’il leur arrive quelque chose, mais le psychologue se doit de proposer ses services pour le cas où ils en ressentiraient le besoin. Quelque soit le cadre, nous le faisons, l’accueil dépend du patient.
Il est par contre assez intéressant de voir ce que le patient dit à qui. Il n’est pas rare que les infirmières soient au courant de plus d’événements de la vie des patients que moi, y compris certains tristes. Parfois c’est parce qu’elles les voient plus souvent que moi, parfois parce que ce n’est pas toujours ces événements qui leurs posent problèmes.
L’impact de la différence des cadres
Chez moi, il n’y a pas de discontinuité avec le reste du suivi. C’est l’alliance crée au cours du temps qui va éventuellement permettre une intervention
- Madame A, dont j’ai déjà parlé s’est retrouvé face à une situation qui mettait en danger son pronostique vital. Une solution existe, mais elle s’y était toujours refusée pour des raisons que je comprends très bien, mais qui face à l’enjeu devenait peut-être moins pertinente. C’est grâce au lien et au travail fait que j’ai pu questionner cette pertinence et parler du peu d’importance qu’elle accordait à sa propre vie.
- Monsieur K est un caractériel avec de fort trait paranoïde. Le type de patient qui passe d’une dialyse à l’autre. Il a souvent « menacé » de quitter la dialyse d’Ixelles. Ce n’est pas en soi un problème, sauf que cela ne résoudrait rien.. Jusqu’à maintenant, je suis arrivé à le calmer et à lui faire entendre que l’attitude des soignants n’était pas contre lui mais pour eux même.
Chez Maud Spoel, il est peut être plus facile de centrer une tranche de travail sur un thème avec lequel elle vient. Ne fusse que parce que c’est le moyen de la garder un peu. Les patients s’ennuient en dialyse, si accepter de travailler sur un thème la fait venir, cela vaut peut-être la peine pour certaines personnes. Je suis certaine que c’est un levier puissant.
Conclusion
Dit par Maud Spoel, psychologue (HIS)
En guise de conclusion, je désirais vous faire part de quelques unes de nos réflexions.
Si des thèmes comme la notion de temps perdu, la durée des séances de dialyse, le régime alimentaire, les médicaments, les complications, la fatigue sont des thèmes récurrents, nous avons constaté, lors de nos échanges que la question de la sexualité et ses troubles ne l’étaient quasiment jamais même chez des patients plus jeunes.
Nous nous somme demandé pourquoi et si cette question était abordée en consultation avec le néphrologue.
Nous avons également constaté que les contacts avec les familles étaient assez rares. S’est posé la question d’entretiens plus systématiques avec celles-ci.
Enfin, la question du groupe de patients et sa dynamique nous paraissait assez caractéristique du travail en dialyse avec des questions autour des décès de patients et de la répercussion de ceux-ci sur le groupe restant.