Psychiatrie

Pourquoi un psychiatre dans une équipe bariatrique ?

Cette mini conférence a été présentée lors d’une journée de présentation du parcours bariatrique des hôpitaux Iris Sud)

• Qu’est-ce qui vous amène ?
• Je ne sais pas…
• Mais pourquoi venez-vous ?
• C’est le Docteur Mehdi….
• Vous avez sans doute des problèmes…
• Je ne parviens pas à maigrir. j’ai plein de problèmes à cause de mon poids. J’ai mal aux genoux, mal au dos, je ne trouve pas de vêtements, je sais pas jouer avec mes enfants. C’est pour ça que je veux faire l’opération. Si je perds du poids, tout ira mieux….

Ainsi, chaque semaine, je vois arriver à ma consultation des personnes qui ne savent pas pourquoi elles viennent. Voir un psychiatre ? Drôle d’idée… Elles n’ont pas besoin de psychiatre, d’ailleurs elles n’ont pas de problème en dehors de leur poids.

Samira Oumassane(coordinatrice), Anne-Marie Hassoun (psychologue), Candice Players (diététicienne) et même le Dr Mehdi (chirurgien) leur ont expliqué pourquoi il fallait voir un psychiatre. Mais elles n’ont pas entendu, ou pas compris, ou tout effacé.

Je leur rappelle qu’elles vont faire une intervention qui aura des effets tout le reste de leur vie, et que cela vaut la peine d’être prudent, d’essayer de prévoir les problèmes qu’elles pourraient rencontrer… Il n’y aura pas de problème, puisqu’elles ont une amie qui s’est fait opérer, qui leur a tout expliqué, et puis elles ont vu des vidéos sur internet. Tout ira bien, elles savent déjà, et elles sont tellement motivées.

Vous remarquerez que j’utilise le féminin : environ 95% des personnes que je vois à la consultation bariatrique sont des femmes.

Mon rôle, c’est un peu d’être le méchant flic dans un polar. J’enquête. Je débusque la faille psychique. Je cherche les indices. Je ne donne pas de coups de bottin , mais je fais pire sans doute : je pose des questions incongrues.

• Vous avez un problème de poids depuis quand ?
• Depuis sept ans.
• Il s’est passé quelque chose de particulier dans votre vie à cette époque ?
• Non, rien de spécial.
• Où avez-vous grandi ?
• Au Brésil
• Et quand êtes-vous arrivée en Belgique ?
• Il y a sept ans.
• C’est souvent difficile de changer de pays, de s’habituer à une nouvelle ville…
• Non, non, ça s’est bien passé, je suis bien ici.
• Vous vivez seule ?
• oui
• Vous avez des enfants ?
• oui, deux : une fille de douze ans et un fils de huit ans.
• Et ils sont où ?
• Au Brésil, avec ma mère.

Son regard s’embrume, elle est visiblement émue, mais très vite elle se reprend, et essaye de me convaincre que tous les problèmes viennent de son poids, que l’opération est la seule chance de maigrir. Quand je la questionne sur les raisons de son émigration, elle évoque le père de ses enfants qui buvait et qui la battait, la situation économique difficile, sa mère qui lui a dit que ce serait mieux de venir chercher du travail en Europe… Elle a une histoire douloureuse, et les larmes affleurent, mais elle préférerait ne pas en parler. Alors, chaque soir, pour calmer les angoisses et le chagrin, elle mange. C’est tellement apaisant de manger : et elle en profite pour retrouver les saveur de son pays. C’est la seule chose matérielle qu’elle a pu garder de son enfance : quelques recettes de sa mère, qui lui rappellent des moments d’insouciance….

Ce que je raconte là, c’est un exemple parmi tant d’autres, quelque chose de courant à la consultation.

Mon rôle n’est pas de satisfaire la demande, ou de répondre à une attente. C’est d’évaluer un risque, de tenter de se faire une idée des problèmes qui pourraient surgir après une intervention bariatrique, quand la personne voit l’image de son corps changer tellement vite qu’elle ne peut s’accoutumer à de nouvelles perceptions. C’est essayer de prévoir le risque, quand il faut adopter de nouvelles habitudes alimentaires, et qu’il n’est plus possible d’utiliser la nourriture pour calmer les angoisses.

Bénéficier d’une intervention bariatrique, ce n’est pas un droit. C’est une démarche thérapeutique lourde, qui doit être évaluée, et dont l’indication doit être posée avec prudence.

On sait que le risque suicidaire est augmenté après une intervention bariatrique. A l’unité de psychiatrie de HIS, à un moment donné, il peut y avoir 15% des patients qui ont subi une intervention dans les années qui ont précédé leur hospitalisation. Certains ont développé un éthylisme ou une autre addiction. D’autres paraissent tout à fait déstructurés et désemparés face aux difficultés de la vie. J’ai connu une patiente qui après chaque entretien, au moment de sortir de mon bureau, me demandait : « Et maintenant je fais quoi ? ». Un jour, son compagnon, qui n’en pouvait plus, l’a enfermée dans la chambre de leur appartement. Elle a cherché à en sortir par la fenêtre, et elle s’est tuée en tombant du deuxième étage.

Vous devinez aisément qu’il n’est pas facile d’évaluer un risque potentiel, qui se manifestera dans des circonstances finalement fort différentes de celles que vit le patient avant l’intervention. On peut cependant chercher à identifier quelques lignes directrices.

Une intervention bariatrique, comme toute intervention, reste un stress, malgré les progrès considérables de la chirurgie. Elle mobilise les capacités d’adaptation du patient, et imposera quelques changements d’habitudes, qui devront s’inscrire dans la durée. Elle nécessite la participation active au processus thérapeutique, principalement après l’intervention Il faut que la personne opérée soit attentive au signaux de son corps, pour savoir adapter sa façon de manger, et éventuellement identifier les sensations annonçant un dysfonctionnement.

Avant tout, il y a de grandes différences entre les patients qui connaissent des problèmes de poids depuis l’enfance, et ceux dont l’obésité est apparue tardivement, après une grossesse, un problème endocrinien ou un changement majeur dans la vie.

Pour celles et ceux dont l’obésité a été précoce, les dysfonctionnements alimentaires se sont inscrits dans la construction psychique. Par exemple, on voit des mères, ayant elles-mêmes un problème de poids, mettre quelque chose dans la bouche de leur bébé dès que celui-ci crie ou s’agite. Elles ne cherchent pas à savoir ce que leur bébé manifeste comme inconfort, elles lui donnent quelque chose à manger ou à sucer. C’est-à-dire que cet enfant associera réconfort et nourriture, en ayant peu conscience qu’il y a d’autres satisfactions possibles. Aussi, il n’apprend pas à attendre, et n’a pas l’occasion d’expérimenter qu’une sensation dérangeante peut se résoudre spontanément, ou grâce aux multiples ressources de son corps et de son psychisme. A l’âge adulte, cela donne des personnes qui doivent trouver une solution immédiate au moindre inconfort ou à la plus petite angoisse. Ce sont parfois des gens qui parlent vite, sans respirer, sans écouter leur interlocuteur, et qui doivent constamment se donner l’illusion que tout va bien. Elles mangent aussi vite qu’elles parlent, grignotent quelque chose dès qu’il y a un moment de vide, et quand on évoque les difficultés de la période postopératoire, elles évacuent le problème par un processus de pensée magique, où l’imaginaire est tout puissant et ignore les limites de la réalité.

Les personnes qui ont développé un surpoids tardivement ont généralement plus de ressources, et savent mieux reconnaître les limites, ou s’adapter à des conditions difficiles.
Cette question des capacités d’adaptation est fondamentale.
Savoir s’adapter, c’est d’abord savoir identifier un problème à travers la reconnaissance de sensations d’inconfort ou de signes de stress.

Par exemple, aller vivre dans un nouveau pays est un stress majeur. Quand on arrive en Belgique, que ce soit en venant d’Afrique, du Brésil ou même d’Angleterre, le corps et le psychisme sont confrontés à un afflux de nouveautés. La langue et les sonorités sont différentes, les odeurs sont nouvelles, et marcher dans la ville se fait avec un autre rythme, ne fut-ce que parce que les trottoirs sont différents. Certains découvrent le froid qui agresse tout leur corps, d’autres sont perturbés par un ciel gris et une météo changeante. Un des rares éléments qui peut ne pas changer est la nourriture, à condition de trouver les ingrédients d’une cuisine familière. Beaucoup de migrants continuent à manger des plats de leur pays d’origine chaque fois que cela est possible : cela est important, parce que c’est souvent le seul lien matériel et concret avec leur enfance, leur parents, leur culture. Et cela doit être préservé, même après une chirurgie bariatrique.

Beaucoup de migrants prennent du poids dans les années qui suivent leur arrivée en Belgique. Parfois le fait qu’ils aient ici moins d’activité physique joue un rôle, mais l’élément principal est le fait que manger est une façon très efficace et immédiate de calmer le stress. La prise de poids est le signe que les capacités d’adaptation sont dépassées. Ou plutôt qu’un nouvel équilibre s’est créé, en intégrant le fait de manger plus : ce n’est pas un équilibre sain, mais c’est malgré tout un nouvel équilibre. Il serait dangereux de le perturber en proposant une intervention bariatrique sans préparation adéquate.

D’une manière générale, il vaut mieux éviter une intervention bariatrique quand la personne est encore dans une situation de stress. C’est pourquoi, il est préférable de ne pas opérer quelqu’un qui vient d’arriver dans notre pays, mais attendre au moins deux ans, si pas plus, avant d’envisager l’intervention . Et ce temps peut être mis à profit pour proposer un accompagnement psychologique et diététique qui facilitera l’intervention. De la même manière, il vaut mieux ne pas intervenir rapidement chez une personne qui se trouve en situation de désarroi social ou relationnel, mais prendre le temps de l’accompagner. Cela permet d’établir de réelles relations thérapeutiques avec l’équipe soignante, et constituera un point d’appui très appréciable.

Il convient également de se faire une idée de l’existence d’une structure psychique suffisamment construite pour faire face aux difficultés de la vie. Quelqu’un qui a une sécurité intérieure suffisante, assez de ressources personnelles, peut entendre qu’une intervention a des suites pas faciles. Cette personne prendra le temps de réfléchir et de chercher des solutions, et se fera confiance pour en trouver. Par contre une personne déstructurée ne voudra pas entendre que des problèmes puissent exister, et les évacuera par n’importe quel moyen, y compris en se convaincant que le problème n’existe pas , ou qu’elle a déjà une solution avant d’éprouver la difficulté. Il y a là des mécanismes de pensée magique, où l’imaginaire se croit tout-puissant et condamne à la fuite en avant constante. Ces personnes sont à risque de complication, ou sont susceptible de développer une autre addiction que la nourriture, par exemple une addiction à l’alcool ou aux médicaments.

Ce qui me rassure, c’est quand la personne a encore des questions à poser à la fin de l’entretien. C’est le signe qu’elle s’implique activement dans le processus thérapeutique, qu’elle reconnaît que tout n’est pas facile. Celle-là. se fait suffisamment confiance pour trouver des ressources en elle.

10_3_2022

Daniel Desmedt.

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